Par Soraya Haquani
PARIS (Agefi-Dow Jones)--"Récemment, j'ai entendu un de mes
responsables âgé d'une soixantaine d'années conseiller à une jeune
alternante de ne pas envisager sa carrière dans la banque privée :
'ce métier est mort', disait-il. C'est dur à entendre… ", se désole
un banquier privé.
Une tempête secoue la profession, une tempête "digitale"
précisément, qui vient s'ajouter à plusieurs autres facteurs qui
mettent à mal les modèles des acteurs de cette industrie :
l'environnement de taux bas, le poids de la réglementation (lutte
antiblanchiment, MIF 2...), la concurrence des fintech… Signe
emblématique de ce contexte, Neuflize OBC vient d'annoncer un plan
de départs volontaires qui porte sur 240 postes. D'ici 2019, près
du quart de l'effectif de la filiale française d'ABN Amro sera
supprimé. Parallèlement, et à l'instar d'autres établissements, la
banque va mettre en oeuvre un plan autour de la
"digitalisation".
Sur la Place de Paris, ce phénomène bouscule tous les banquiers
privés. Leur rôle est sensiblement bouleversé par l'arrivée des
outils "digitaux", mais aussi par l'évolution de leur clientèle.
"Les attentes des clients font bouger la banque privée", déclare
Béatrice Belorgey, directeur de BNP Paribas Banque Privée en
France. "Ils veulent des réponses plus rapides et un niveau de
valeur ajoutée plus important. Nos clients comptent davantage
d'entrepreneurs, ils sont plus jeunes et pressés. Il faut donc que
nous nous adaptions."
Aujourd'hui, le modèle du groupe est basé sur 200 implantations de
banque privée en France. Le client a son banquier privé dédié et un
assistant dédié aux opérations au quotidien. "Demain, à côté de ce
modèle, en émergera un autre pour les clients pressés et plus
autonomes", dévoile Béatrice Belorgey. "Notre projet est en route,
avec un premier jalon qui sera posé en 2018 : le client sera le
pilote de sa relation avec son banquier privé dédié, il fera tout,
à distance (un accès direct aux experts en visio par exemple) et
n'aura plus besoin de se déplacer."
Alors que toutes les banques privées mettent un coup d'accélérateur
à leur transformation "digitale", l'accompagnement RH des femmes et
des hommes est au coeur du sujet, comme cela a d'ailleurs été
souligné au Forum de la Gestion Privée 2017 organisé le 27 mars par
L'Agefi Actifs.
Changement sociologique
De l'avis général, il faut mener un vaste travail en amont pour que
les banquiers privés s'approprient les nouveaux outils et
réinventent leur métier de conseil haut de gamme auprès de leurs
clients. Cela est d'autant plus vrai que la profession vit aussi un
changement sociologique, avec l'arrivée de professionnels plus
jeunes, très à l'aise avec l'univers numérique. "Il y a une
fracture entre les banquiers privés de 'l'ancienne école' et ceux
âgés de 35-40 ans issus d'une génération très connectée et dotés
d'un bagage technique très actuel", observe Matthieu Le Goff, 36
ans, banquier conseil chez Degroof Petercam en banque privée.
"Autrefois, le métier du banquier privé reposait quasi
exclusivement sur la relation avec son client. Cela n'a bien
entendu pas disparu mais le client attend de la valeur ajoutée,
plus uniquement de la simple gestion de portefeuille. Il veut un
'plus' dans le conseil, il attend de son banquier qu'il isole une
problématique dans sa situation familiale par exemple."
"Les banques privées avancent à marche forcée sur la
'digitalisation', de nouveaux acteurs (fintech, etc.) arrivent
aussi sur ce marché ; ce contexte est un peu compliqué à gérer pour
les banquiers privés seniors mais offre des opportunités nouvelles
de développement", considère pour sa part Delphine Dubreuil, du
cabinet de chasse de têtes Singer & Hamilton.
Pour aider leurs banquiers privés à se mettre à la page "digitale",
les établissements multiplient les initiatives. "Il peut arriver,
sur le sujet de la transformation 'digitale', que les personnes ne
soient pas à l'aise. Il faut comprendre leurs points de blocage et
accompagner", affirme Yann Charraire, directeur produits et
solutions de Neuflize OBC. "Pour aborder ce thème, nous avons mis
en place du 'reverse mentoring' entre des banquiers privés seniors
et des banquiers plus jeunes. Cela fonctionne très bien ! Tout le
monde y gagne : les jeunes sont valorisés et les expérimentés
apprennent à maîtriser de nouveaux outils."
En outre, 150 ambassadeurs du "digital" irriguent toute la banque.
"Leur rôle est d'informer et de sensibiliser les collaborateurs à
la 'digitalisation' de notre métier", précise Yann Charraire.
Enfin, une formation sur la nouvelle application mobile sur le
paiement et les services au quotidien a été conçue, et la banque a
créé les "visi-lunch" : "il s'agit de visiter, au moment du
déjeuner, les bureaux d'autres entreprises (comme Nestlé, Google…)
afin de voir comment elles vivent la 'digitalisation'", explique le
responsable. Prochainement, une étude sera menée auprès des
collaborateurs, de façon anonyme, pour évaluer leur maturité
"digitale". Chez BNP Paribas Banque Privée, des référents
"digitaux" ont été déployés dans les implantations dédiées au
métier, tandis que le programme d'acculturation réalisé au niveau
du groupe se décline aussi dans la banque privée.
Tout en étant conscients de la nécessité de s'adapter, les
banquiers privés nourrissent des inquiétudes sur l'avenir, à long
terme, de leur métier. Les scandales d'évasion fiscale qui ont
éclaté ces dernières années ont écorné leur image, et la reconquête
de la confiance auprès des clients est parfois difficile. Surtout à
l'heure où la puissance de l'intelligence artificielle peut
inspirer davantage confiance. "Avec les solutions d'intelligence
artificielle, ce sont des faits qui sous-tendent les
recommandations financières. Cela permet de rétablir la confiance
entre le client et son banquier", assure un spécialiste de ces
technologies.
Le "robo-advisor", un simple appui
Chez BNP Paribas Banque Privée, les clients reçoivent depuis 2016,
sur leurs tablettes et PC, des recommandations d'arbitrages
conformes à leur profil de risque qu'ils peuvent eux-mêmes décider
de suivre et exécuter. "Nous étudions ce que nous pourrons faire,
sur certains segments de clientèle, avec des 'robo-advisors'
(fintech) en gestion sous mandat ou conseillée en 2018", indique
aussi Béatrice Belorgey. De là à imaginer que ces innovations
"intelligentes" puissent remplacer les banquiers privés, il n'y a
qu'un pas… que les principaux intéressés ne veulent pas
franchir.
"Le 'robo-advisor' vient en appui du banquier privé. Il lui permet
de gagner en efficacité opérationnelle mais il ne le remplacera pas
!", assure Anne-Cécile Lugagne-Delpon, responsable digital et
projets de l'offre chez BNP Paribas Banque Privée. "Le client veut
un contact humain avec sa banque privée pour parler de la
structuration de son patrimoine, ou de la situation de ses enfants,
ou encore de la cession de son entreprise", avance, de son côté,
Maximilien Tieleman, 49 ans, banquier privé chez Société Générale
Private Banking, tandis que Matthieu Le Goff, chez Degroof
Petercam, considère que "le métier va passer d'un modèle de vente
de produits à une approche de 'family office' qui pourra intervenir
dans plusieurs domaines (financier, fiscal, juridique, etc.)." La
banque belge a prévu, dans un premier temps, de dématérialiser la
partie administrative, notamment celle liée à la connaissance
client. "Dans moins de deux ans, nous aurons mis en place un
questionnaire agréable et numérique que le client pourra signer via
sa tablette", annonce Matthieu Le Goff. "Dans un second temps, nous
travaillerons sur les outils de l'espace client et la
personnalisation du conseil."
Chez BNP Paribas Banque Privée, la "digitalisation" est aussi en
marche sur les parcours client. Le premier volet concerne l'entrée
en relation avec le client. Ainsi, depuis janvier 2017, un document
PDF d'une seule page, "my single page contract", résume l'ensemble
des conventions patrimoniales du client. Toutes ces nouveautés
devraient permettre aux banquiers privés de libérer du temps
commercial pour travailler de façon plus fine sur la stratégie
patrimoniale de leurs clients. "Les problématiques complexes ne
sont pas 'digitalisables'", conclut un professionnel.
-Soraya Haquani, L'Agefi Hebdo. ed: ECH
L'Agefi est propriétaire de l'agence Agefi-Dow Jones
(END) Dow Jones Newswires
April 07, 2017 07:33 ET (11:33 GMT)
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